La politique éditoriale de la revue Essaim faisant notamment le pari de souligner les enjeux décisifs des publications dans la transmission de la psychanalyse issue de l’enseignement de Lacan, il est difficile de ne pas relever les conséquences préjudiciables de la bipartition singulière, établie par Jacques Alain-Miller, du séminaire … ou pire et du fascicule intitulé Je parle aux murs, parus simultanément au Seuil ce 25 août 2011.
L’on sait que, durant l’année 1971-1972, Lacan donna, à la faculté de droit de l’Université de Paris 1, une série de leçons dans le cadre de son Séminaire qu’il intitula … ou pire, tandis que, parallèlement, il fut invité à faire une série de conférences à la chapelle de l’hôpital Sainte-Anne – conférences qu’il qualifia d’entretiens et qu’il intitula « Le savoir du psychanalyste ».
Il est bien clair que ces deux séries s’entrecroisent. Certaines problématiques traitées dans le Séminaire se retrouvent, voire se poursuivent dans lesdits entretiens, et inversement. Mais il n’en demeure pas moins qu’elles conservent chacune la spécificité qui leur est propre. Or, en insérant les quatre dernières conférences de Sainte-Anne dans le séminaire … ou pire, sous prétexte qu’elles y auraient manqué si elles ne s’y trouvaient pas, et en ne conservant que les trois premières sous le titre Je parle aux murs, Jacques-Alain Miller introduit une césure qui ne respecte pas celle que Lacan avait opérée entre … ou pire et « Le savoir du psychanalyste ». L’unité (y compris du lieu et de l’adresse) des entretiens de Sainte-Anne est dissoute, de même que disparaît le titre « Le savoir du psychanalyste » et avec lui la dénotation et la connotation fortes qu’il portait. Inversement, la série originale des leçons composant le séminaire … ou pire s’avère modifiée par l’intercalation de conférences qui n’eurent pas la même adresse et qui ne furent pas réunies sous le même titre.
Cette initiative est dommageable pour la publication de l’œuvre de Lacan. Certes la collection « Paradoxes de Lacan », dans laquelle paraît Je parle aux murs, crée des unités textuelles que Lacan n’avait pas construites, en réunissant par exemple dans un même volume des conférences qui ne se trouvaient pas à l’origine associées. Mais il est nouveau que paraisse un texte tronqué, amputé de plus de la moitié de son contenu et dont rien ne subsiste du titre pourtant existant et pour le moins significatif.
L’argument donné dans la note liminaire de Je parle aux murs n’est toutefois pas justifié. Il consiste en effet à soutenir l’idée qu’à partir du 3 février 1972 Lacan poursuit désormais à la chapelle Sainte-Anne les problématiques développées dans son séminaire et que, par conséquent, ces conférences doivent être insérées dans … ou pire.
Sans elles, le séminaire apparaîtrait lacunaire. Pourtant il est constant que telle conférence considérée avec tel article et/ou tel passage d’un séminaire pris à un même moment donné de l’enseignement de Lacan se répondent mutuellement, de sorte que l’intelligence de l’œuvre s’établisse notamment d’une lecture en réseau. Néanmoins aurait-on idée, et Jacques-Alain Miller jusque-là pas plus que qui ce soit, de mêler par exemple dans le livre XXIII du Séminaire Le sinthome une partie des « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », ou encore d’intercaler la conférence du 25 avril 1969, « La psychanalyse en ce temps », entre les leçons des 23 et 30 avril 1969 du séminaire D’un Autre à l’autre, etc. ? Certes pas. Et ce d’autant plus que, par cette curieuse césure instaurée récemment par Jacques-Alain Miller, l’on retrouve désormais dans le séminaire … ou pire des propos de Lacan qui semblent incohérents du fait de leur décontextualisation, tel que : « Je rappelle ça parce que ce que j’ai à traiter ici se place sous le titre “Le Savoir du psychanalyste” ». En italique dans le texte, page 194 d’… ou pire !
On vérifie par là, s’il en était besoin, la pertinence des thématiques de numéros anciens de la revue Essaim, comme le n° 7, « Mise en pages de la psychanalyse », et le n° 17, « les Écrits, quarante ans après … » ; lesquels sont pour le moins syntones à notre actualité.
Nicolas Guérin