« Chaque rature suppose une foule d’idées qui décident l’esprit souvent à son insu ; il serait piquant de les indiquer toutes et de les bien analyser », disait Madame de Staël concernant les manuscrits des grands écrivains à partir desquels elle souhaitait établir un traité sur le style. Sans prétendre à une telle exhaustivité ni avoir la même visée, il n’en demeure pas moins « piquant » de se reporter aux croquis et aux manuscrits de Lacan qui composaient son atelier, sa « fabrique » aurait dit Francis Ponge, bref autant de brouillons et d’archives constituant le chantier de sa table de travail et dont l’inachèvement témoigne d’un work in progress indissociable de son savoir-faire.
Issus du catalogue de l’exposition et de la vente aux enchères organisés par Jean-Michel Vappereau chez Artcurial en juin 2006 à Paris, on trouvera ci-joint deux documents.
Le premier (lot n° 41, p. 31) se réfère notamment à la topologie des nœuds ; topologie que Lacan qualifiera de « savoir-faire démonstratif » (L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre, 21 décembre 1976). On peut y lire, griffonné : « un petit bout de réel » suivi d’un long gribouillage de deux lignes semblant s’achever sur le mot « anarchiquement » et précédant en dernière ligne l’expression sous forme de question : « Le réel-pas-Tout ? ». Cette mention du bout de réel est particulièrement bienvenue dans la thématique du savoir-faire de l’analyste. Bien que non daté, il est possible de supposer que ce document remonte aux mois de mars-avril 1976. La première figure en haut et à gauche laisse apparaître en rose ce que Lacan appelle la « chaîne borroméenne rigide » (un nœud borroméen en trois dimensions mais anguleux) que l’on trouve notamment dans les « Conférences nord-américaines » des 1er et 2 décembre 1975 mais aussi dans Le sinthome du 9 mars 1976. Or, c’est au mois de mars 1976 que Lacan insiste sur l’expression de « bout de réel » (dans le séminaire du 16 mars 1976 et dans la lettre XIX de l’École freudienne de Paris) pour y revenir encore lors du séminaire du 13 avril 1976. Quant au terme d’ « anarchiquement », l’on peut conjecturer qu’il résonne avec la remarque de Lacan selon laquelle le « réel n’a pas d’ordre. C’est ce que je veux dire en disant que la seule chose que, peut-être, j’arriverai un jour à articuler devant vous, c’est quelque chose qui concerne ce que j’ai appelé un bout de réel ». (Le sinthome, p. 138)
Le second document (lot n° 75, p. 45) est un manuscrit mentionnant explicitement la question du savoir-faire dans son rapport à l’inconscient. Nous en avons établi le texte (ci-joint) car celui retranscrit dans le catalogue Artcurial comportait quelques erreurs. Également non daté, il est cependant peu probable qu’il soit plus ancien que le séminaire Encore (1972-1973).